Le coq vainqueur de l’éléphant
C’était aux temps anciens, où les animaux et les hommes habitaient tous ensemble dans les villages.
Même les éléphants vivaient parmi les hommes car aucun conflit, aucune méfiance, rien ne les opposait ; rien ne faisaient des uns les proies des autres.
L’éléphant, éternel vainqueur des compétitions des ripailles, demanda un jour au coq :
— Frère coq, pourquoi chantes-tu tous les jours de très bonne heure ?
— Pour rappeler à tous ceux qui vivent qu’avec le lever du soleil commence ma journée de repas.
— Comment ? Toi simple coq de quartier, tu prétends manger toute la journée ? Quelle moquerie ! Et pourquoi donc n’as-tu jamais participé aux compétitions qui m’ont opposé à l’hippopotame et aux autres estomacs étroits ? Mon dernier rival était l’autruche, un bien gros et grand mâle, au cou tout rouge, et au beau plumage noir. Il n’a pas avalé le centième de ma ration de jeune…
— Grand frère éléphant, je répète qu’un coq de village comme moi passe sa journée à manger, à digérer et à excréter.
— Ne voilà-t-il pas une véritable provocation ?
— Et bien, foi et susceptibilité de Guiwa, je te défie de pouvoir manger autant que moi.
— Foi de Zakara, je relève le défi, et sur-le-champ, je proclame : « Je mange sans répit. »
— Je prends à témoin Mouzourou-le chat et Jakki-l’ane. La compétition débutera à ton premier chant, demain matin. «
Immédiatement, Zakara-le coq lança aux vents son chant et commença à gratter le sol, à picorer, à becqueter à excréter et à chanter en se frappant la poitrine de ses ailes ouvertes.De son coté, Guiwa-l’éléphant, offusqué par les prétentions du coq, commença à arracher feuilles, écorces, branches, arbres entiers et arbustes, à les mâcher, avaler, digérer, et naturellement à déféquer par véritables monceaux d’excréments d’une puanteur digne de la circonstance.Avant-midi, forêts et clairières étaient dévastées et transformées en détritus et déchets. À midi, fier de son travail, et de celui de son estomac et de sa trompe, l’éléphant vint trouver le coq arrêté à l’ombre de son vestibule, sur une patte, la deuxième étant repliée sous son aile.
— Alors, concurrent coq, toi qui manges quand tu veux… que vois–je là ? Mais, où est ta deuxième patte ? Es-tu rassasié ? Estomac étroit !
Calmement, le coq lui répondit :
— N’étant pas rassasié, j’ai mangé une de mes pattes. J’en ferai de même de l’autre dès que j’aurai digéré la première. À ton retour tu me trouveras sans pattes, assis sur mon ventre.
La réponse foudroya Guwa. De vie d’éléphant, il n’avait jamais vu, ni entendu dire, ce qu’il voyait et entendait. Manger ses propres membres dans le but d’assouvir sa faim !Il prit de la distance et dit au coq :
— Frère coq tu as gagné. Je ne pourrai, moi, jamais, au grand jamais, dévorer un de mes membres, puis un second, pour calmer ma fringale. Adieu, tu as gagné, je te laisse le village, pour aller cacher ma honte, là-bas, au loin, dans la forêt, ou je n’entendrai plus ton chant de guerre.
Et c’est à partir de ce temps que les éléphants quittèrent les villages et établirent leur habitat loin des chants de coq.
Conte Haoussa des rives du Niger.
Tiré du recueil de Kélétigui Mariko : Sur les rives du fleuve Niger